La mandoline du capitaine Corelli

capitaine corelli

Captain Corelli fut le premier film que je visionnai en version dvd, un événement marquant de mon adolescence qui demeurera toujours associé à une soirée en famille riche en émotions. Non seulement nous venions de contribuer aux grands bouleversements du petit écran, abandonnant ainsi définitivement l’usage aujourd’hui désuet de la traditionnelle cassette VHS, mais nous étions également sur le point de découvrir une fresque historique et romanesque somptueuse plantée sur cette île paradisiaque qu’est Céphalonie (Kephalonia), la terre de mes ancêtres grecs, et qui nous laisserait par la suite à chacun une empreinte indélébile. Ce roman aux pages ondulées par l’humidité et jaunies par le mauvais traitement des déménagements successifs, trône dans la bibliothèque familiale depuis 1996. J’ai tenté à plusieurs reprises de le lire sans grand succès, j’étais trop jeune et impatiente pour apprécier à sa juste valeur les envolées lyriques de de Bernières tout comme les longues introspections du docteur Yannis, un médecin bourru à la langue bien pendue qui s’efforce d’écrire l’Histoire de son île mais qui se heurte sans cesse à son tempérament méditerranéen, ne pouvant s’empêcher de sauter du coq à l’âne. Emporté par son esprit bouillonnant et passionné ce dernier sème dans les couloirs de la mémoire le lecteur qui n’a d’autres choix que de s’agripper, s’il souhaite pouvoir suivre ses pérégrinations, d’où mes difficultés à rester attentive au récit.

captain corelli 3A mon grand regret, je n’ai jamais pu auparavant venir à bout du premier chapitre consacré aux travaux littéraires du médecin Yannis, l’incipit du roman. Et puis, une envie irrésistible de relire ce chef-d’oeuvre manqué m’a poussé à retenter l’expérience. Saisie d’une volonté coriace et d’une soudaine curiosité insatiable pour la culture grecque, encouragée par les circonstances de la vie, je me suis plongée cette fois-ci avec voracité dans ce roman magnifique que j’ai achevé de lire cet été en l’espace de quelques jours. J’ai refermé ce pavé de 689 pages, émue jusqu’aux larmes, des images plein la tête et le désir irrépressible de partir explorer ce petit bout de terre chargé d’Histoire.

Céphalonie fut en effet longtemps le théâtre de nombreux conflits. L’auteur retrace ici à travers une constellation de destinées inoubliables, l’invasion allemande nazie, en 1944.

Sous la chaleur moite du soleil grec, la belle Pelagia mène une vie paisible aux côtés de son père Yannis, un médecin veuf érudit qui consacre ses heures perdues à la rédaction d’un ouvrage historique sur l’Histoire de Céphalonie, une île essentiellement peuplée de vieillards fatigués, de marins incultes, de veuves aigries et de ravissantes jeunes filles en fleurs. Bien que brillante, Pelagia n’a d’autre ambition que de devenir l’épouse de Mandras, un pêcheur séduisant dont elle est follement éprise. La guerre bouleverse malheureusement ses modestes projets. Son fiancé parti au front, la jeune femme se retrouve bien seule et doit faire face à de nouvelles difficultés dont la famine effroyable qui s’est abattue à l’arrivée des troupes ennemies sur la petite population insulaire. Elle doit à son grand mécontentement également supporter comme tant d’autres l’humiliation de l’occupation des Nazis et de leurs alliés fascistes. Parmi ces oppresseurs, un seul homme attirera pourtant malgré lui sa sympathie, le Capitaine Corelli, un officier italien plus versé dans l’art de la musique que dans l’art de la guerre. La jolie Grecque succombera malgré elle au charme du jeune soldat au risque de mettre en péril la demeure familiale. Mais cet amour si fragile, né au coeur même d’un conflit mondial semblant inextricable, pourra-t-il survivre aux épreuves du temps et aux exactions de la guerre?capitaine corelli 1

Si Pelagia est indéniablement l’héroïne de l’histoire, le premier tiers du livre s’attarde davantage sur l’évolution du personnage de Mandras et son intérêt grandissant pour le communisme. Le livre jongle également entre l’histoire personnelle de Mussolini, le dictateur italien, et celle du bataillon du capitaine Corelli avec celle de Pelagia et de son père à Céphalonie.

L’île sera donc envahie par les deux nations allemande et italienne, la ville de Lixouri sera placée sous la coupe des Allemands qui se sont postés là pour espionner leurs alliés, ces Italiens fantasques qui se sont eux emparés d’Argostoli, le port principal de l’île. Louis de Bernières éclaircit dans ce récit une part d’ombre d’un épisode de la Seconde Guerre Mondiale qui fut longtemps méconnu car peu mentionné dans les manuels d’Histoire. Il brosse ainsi avec panache les portraits de ces soldats italiens hébétés qui n’ont pour la plupart d’entre eux jamais encore connu l’expérience du front. Ces derniers ont été embarqués malgré eux dans une guerre irréfléchie. Pour des raisons obscures, leur dirigeant Mussolini s’est rangé à la politique hitlérienne. Les soldats amollis par la chaleur céphalonienne ne s’apercevront pas du complot qui se tramera sous leurs yeux. A la suite de leur capitulation, ils seront désarmés et exécutés sans sommation puis entassés dans des fosses communes par les nazis qui furent pourtant leurs alliés. Au total, plus de quatre mille Italiens officiellement seront massacrés (officieusement neuf mille) à Céphalonie et leurs dépouilles seront finalement calcinées afin d’effacer toute trace de leur existence.

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Bien que la Seconde Guerre Mondiale occupe une place prépondérante dans ce roman, c’est l’amour avant tout qui demeure au centre de l’intrigue. L’auteur s’intéresse aux diverses formes que peut prendre ce sentiment indéfinissable qui submerge tout être humain, telles que l’amour fraternel de soldats soudés les uns aux autres, l’amour paternel d’un père pour sa fille bien-aimée, l’amour poussé jusqu’au sacrifice pour sa patrie, ses idées, l’amour passionnel entre un homme et une femme malgré leurs milieux que tout oppose, ou même l’amour d’un soldat pédéraste sentimental prêt à tout pour sauver son capitaine…
A travers la voix du docteur Yannis, l’auteur évoque aussi à l’instar de Zorba le Grec, l’illogisme du passage de l’être humain sur terre et soulèvent de nombreux questionnements philosophiques quant à la foi inébranlable de l’homme pour un dieu implacable qui demeure sourd aux supplications des vivants.

captain corelli's corelliEn écrivant ce roman, Louis de Bernières a souhaité donner une âme à ces vulgaires statistiques des pertes humaines de la guerre que décomptent avec une froideur chirurgicale les livres d’Histoire ; le pari est largement relevé. La mandoline du capitaine Corelli dont le son mélodieux résonnera longtemps à l’oreille du lecteur, est devenue un véritable chef-d’oeuvre contemporain dans la grande lignée de Zorba le Grec (ma chronique ici). Une oeuvre poétique sombre inoubliable et un puits d’information sur la culture ionienne qui m’a passionné. « Nous avons tous une oeuvre littéraire autobiographique » dit l’écrivain dans un entretien. Pour lui, ce fut incontestablement l’oeuvre de Tolstoï Guerre et Paix. Cette oeuvre remarquable est un hommage vibrant à son écrivain modèle. Un livre à garder précieusement dans sa bibliothèque. Magnifique.

Un dernier mot sur l’adaptation cinématographique. Elle peut paraître décevante en comparaison de l’histoire originale. Une fois de plus, Hollywood, cette entreprise bien huilée, nous a livré une version édulcorée et un peu lisse de la réalité. Cette interprétation libre doit être cependant dissociée du roman pour pouvoir l’apprécier. Celle-ci s’appuie davantage sur la beauté des paysages grecs, sur l’action et la romance entre les deux personnages principaux. Certes, le scénario est efficace et le film est tout de même une belle réussite, mais le choix du casting reste discutable et en particulier celui de Nicolas Cage qui incarne le Capitaine Corelli à l’écran. Je le trouve dénué de charme et peu convaincant dans le rôle du romantique torturé. Penelope Cruz est toutefois bouleversante et rayonnante. Elle est bien plus crédible. La scène où elle danse un tango endiablé en empruntant des pas traditionnels au Sirtaki reste ma préférée. A voir absolument!

challenge pavé de l'été

le pari hellène

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18 commentaires pour La mandoline du capitaine Corelli

  1. Edmée dit :

    Me voici bien tard sur ton billet. je n’ai pas lu le livre – mais le tiendrai à l’oeil s’il me tend une embuscade – et peut-être pas le film, je crois que non. Par contre tu aimerais peut-être « Mediterraneo » ( https://www.youtube.com/watch?v=Q3WJvaEjAlU) qui parle d’Italiens coincés sur une île grecque durant la guerre. Una faccia, una razza disent Grecs et Italiens, qui sont très similaires…

    • missycornish dit :

      Je vais jeter un œil Edmée. ça m’a l’air bien mais il faut que je trouve la version française, c’est un vieux film. La culture méditerranéenne me passionne. Je rêve également de visiter un jour l’Italie.

  2. Romanza dit :

    Un très bel avis! Bravo!
    C’est un roman qui me tente depuis des années mais j’ai TRÈS TRÈS peur de le lire …

  3. Brize dit :

    J’avais vu le film, été tentée par le roman … mais arrêtée par le nombre de pages ! A la lecture de ton billet, je me dis qu’il faudra moi aussi que je m’y plonge un jour, dans ce beau roman.

  4. denis dit :

    ce roman m’a toujours intrigué sans l’avoir jamais lu, un chef d’œuvre donc !!

  5. Armelle dit :

    Malheureusement je ne connais ni le livre, ni le film et je ne peux que me laisser gagner par ton enthousiasme et ton article rédigé avec ferveur et lucidité. A l’occasion, je le lirai volontiers.

  6. Mdebrigadoon cottage dit :

    Quel beau livre ! C’est un cadeau que m’avait fait mon homme pour me replonger dans l’histoire de ma famille sur cette île . Je suis heureuse que la génération suivante reprenne le flambeau .
    Je n’ai pas du tout aimé Nicolas Cage dans ce rôle ( mais je ne l’aime dans aucun) . Par contre j’ai trouvé l’idée de prendre Irène Papas pour jouer la mère . Quel bel hommage à Zorba .
    C’est intéressant de comprendre comment ces pauvres Italiens se sont retrouvés dans une guerre à laquelle ils ne comprenaient rien . Ce qui a été plutôt bien rendu dans le film .
    Encore un bel article qui permet de mettre en avant des oeuvres originales un peu oubliées des lecteurs que nous sommes . Merci Missy !

  7. alexmotamots dit :

    La cassette VHS, c’est quoi ça ?!

  8. Lili dit :

    Le film a été diffusé il y a peu à la télé mais je n’en ai attrapé que les dernières minutes ! Du coup, je ne savais pas du tout de quoi ça parlait. J’avoue que ton billet m’inspire plus que le trailer de l’adaptation ciné.

    • missycornish dit :

      Oui je trouve que la musique de la bande-annonce ne se prête pas à l’ambiance du livre, la culture Grecque. Et puis on n’y montre qu’un seul point de vue, l’histoire d’amour entre Pelagia et Corelli, et Mandras dans tout cela, il est passé où?

  9. nathalie dit :

    J’aime beaucoup ton billet ! C’est une ode à la persévérance dans la lecture. Ce roman a l’air en effet très intéressant. Et il est amusant de voir que la scène du SIrtaki se trouve aussi dans Zorba, comme un passage obligé des livres/films à la grecque ! Je le lirai sans doute un jour également mais pas tout de suite. Merci !

    • missycornish dit :

      Merci Nathalie! Je viens juste de dégoter un nouveau roman pour ton challenge: Voyez comme on danse de Jean d’Ormesson qui se déroule sur une petite île Grecque.
      J’ai mis des années à me décider à lire la mandoline du capitaine Corelli, je pense qu’il faut mieux lire selon son humeur que pour suivre une tendance. Tu as raison, peut-être l’envie viendra plus tard…

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